Quelles sont les instances de réparation des agressions sexuelles ?
Deux instances ont été constituées pour réparer les préjudices des victimes d’agressions sexuelles: l’INIRR et la CRR.
L’INIRR
L’instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR) émane de la décision du 8 novembre 2021 prise par la Conférence des évêques de France, en application de la recommandation n°27, 31 et 32 du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels.
Elle a pour objet de reconnaître et de réparer les préjudices des victimes de violences sexuelles commis par des clercs ou des laïcs en mission.
Elle est exclusivement tournée vers les victimes de faits commis lorsqu’elles étaient mineures.
L’INIRR est financée par le SELAM (Fonds de solidarité et de lutte contre les agressions sexuelles sur mineurs) à hauteur de 20 millions d’euros, versés par les diocèses.
L’INIRR est indépendante et ne dépend hiérarchiquement ni de la Conférence des évêques de France, ni du SELAM. Elle est bénévolement présidée par Marie DERAIN DE VAUCRESSON selon la lettre de mission du 22 décembre 2021.
L’instance comporte quinze référents bénévoles ou salariés, de diverses spécialités.
L’INIRR a adopté une charte éthique promouvant notamment l’équité, l’écoute, l’absence de conflits d’intérêts et l’intervention dans un cadre défini.
La démarche d’une victime comprend deux étapes : un référent va écouter la victime et préparer un dossier, puis un collège pluridisciplinaire va examiner le dossier et déterminer les moyens permettant de manifester un acte de reconnaissance et de réparation.
Trois domaines sont examinés : la gravité des faits, les conséquences sur la vie de la personne et les manquements de l’Eglise.
La CRR
La Commission Reconnaissance et Réparation (CRR) poursuit le même objectif concernant la réparation des violences sexuelles commises par des religieux et des religieuses. Elle a pour origine la décision de l’assemblée générale de la conférence des religieux et religieuses de France d’avril 2021.
Elle est présidée par Antoine GARAPON selon la lettre de mission du 30 novembre 2021.
A la différence de l’INIRR, la CRR admet l’indemnisation de personnes majeures au moment des faits commis.
La CRR a une instance unique de 25 personnes qui travaillent en binôme sur chaque dossier, avec une spécialisation en fonction des congrégations concernées.
La CRR organise des médiations entre victimes et congrégations. Certains dossiers adressés à la CRR sont renvoyés à l’INIRR (100 dossiers, en novembre 2022).
La Commission, présidée par Antoine GARAPON reçoit au terme de chaque dossier les rapporteurs concernés afin que chaque dossier bénéficie du regard d’un tiers. Les parties sont consultées pour la validation de leur dossier.
Actuellement la CRR a reçu 540 dossiers, dont 45 ont été clôturés.
Réactions des associations de victimes
Ni l’INIRR, ni la CRR n’ont pour objet de rendre justice ou de transiger dans le cadre d’une action judiciaire. Leur objectif est la réparation extra-judiciaire.
Ces deux instances font l’objet de critiques de la part de certains collectifs et associations de victimes dénoncent le fait que les préjudices sont évalués à partir de barèmes et non en fonction d’une expertise médico-légale. Le montant maximal du barème (60.000 €), déterminé par rapport à ce qui a pu être fait ailleurs en Europe est à leurs yeux trop faible.
Ils dénoncent également l’impossibilité pour les personnes victimes d’être assistées d’un avocat ou d’un thérapeute dans leurs démarches.
Enfin ils estiment que l’Eglise catholique n’a pas de légitimité pour organiser l’indemnisation des victimes et réclament à l’Etat de prendre l’initiative en cette matière.
Les deux instances ont en effet pour originalité de viser la réparation du préjudice des victimes dont les droits à aller devant la justice sont prescrits. Il n’existe actuellement aucun fonds ou office étatique de réparation des agressions sexuelles prescrites. À cet égard, les victimes dont les droits sont prescrits ne sont pas éligibles à la réparation prévue par l’ONIAM ou le FIVA en matière d’accidents médicaux ou d’exposition à l’amiante.
La question du barème d’indemnisation recouvre celle de la juste réparation de l’irréparable. Il n’existe pas de bonnes réponses sur ce sujet, la coïncidence entre l’indemnisation financière et la réparation des souffrances étant quasiment impossible.
La formation professionnelle des personnes référentes de l’INIRR inquiète également plusieurs collectifs et associations de victimes. La difficulté de l’INIRR de recruter du personnel compétent est soulignée par plusieurs acteurs, d’autant que le poids émotionnel de chaque cas ne permet pas aux référents d’être actifs à temps plein pour l’instance.
Enfin, les lenteurs et les difficultés de communication sont régulièrement évoquées, dans le contexte de l’installation rapide de l’INIRR et de son souci de réparer de la manière la plus personnalisée possible.
L’INIRR essaie d’avoir un contact régulier avec des collectifs de victimes afin de connaître leur positionnement vis-à-vis de son travail et de répondre à leurs attentes.
En novembre 2022, 1.000 dossiers ont été déposés depuis le mois de janvier 2022 ; 200 personnes étaient accompagnées.
Qu’est-ce que le tribunal pénal canonique interdiocésain (TPCI) ?
Quelle nécessité ?
La conférence des évêques de France a décidé de mettre en place un tribunal pénal interdiocésain (Assemblée plénière mars 2021, résolution n°6). C’est une première dans l’Eglise catholique.
Cette instance répond à quatre constats :
- Les procédures canoniques pénales ne sont pas suffisamment lisibles, notamment pour les victimes
- La trop grande proximité entre l’évêque et le clerc faisant l’objet d’une procédure canonique nuit à la bonne administration de la justice dans la mesure où l’évêque est à la fois l’autorité de poursuite et le supérieur hiérarchique du prêtre poursuivi
- L’instruction des crimes et des délits et la détermination des peines imposent une spécialisation en droit pénal canonique
- Le personnel des officialités (tribunaux ecclésiastiques) connait des difficultés de renouvellement.
Comment ?
La 40e recommandation du rapport de la CIASE a pris acte de ce projet et a souligné l’importance de veiller à l’effectivité et à l’apparence de sa compétence et de son impartialité, en insistant sur la collégialité et une composition rassemblant prêtres experts et juge laïcs spécialement formés.
Les statuts ont été rédigés sous la présidence de Mgr Joseph de METZ-NOBLAT, à la tête du Conseil pour les questions canoniques au sein de la Conférence des évêques de France et a participé à la création de cette instance.
L’Assemblée plénière des évêques de France a validé les statuts de la nouvelle juridiction au mois de novembre 2021 (Résolution 2.10).
Le tribunal pénal canonique national est entré en fonction le 1er avril 2022.
Le tribunal de la Signature Apostolique (Tribunal suprême de l’Eglise), sous la préfecture du Cardinal Dominique MAMBERTI, a approuvé les statuts et le décret général d’érection de l’instance par lettre du 29 septembre 2022.
Depuis l’assemblée plénière de novembre 2022, il est prévu que des personnes laïques soient juges au sein de ce tribunal (canon 1421 du CDC de 1983), conformément à la recommandation n°40 du rapport de la CIASE.
L’installation du Tribunal pénal canonique interdiocésain (TPCI) est prévue en décembre 2022 pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2023.
Périmètre de compétence
Le tribunal n’a pas pour objet de traiter les cas d’agressions sexuelles sur mineurs. Ceux-ci restent traités par la Congrégation de la Doctrine de la Foi. Toutefois, l’évêque dont l’un des prêtres fait l’objet d’une plainte reste chargé de l’enquête préalable canonique.
La Congrégation de la Doctrine de la Foi pourra choisir entre un procès pénal administratif, où l’évêque décide seul de la peine, ou un procès pénal judiciaire qui pourra être renvoyé au TPCI.
En revanche, le TPCI va traiter les agressions sexuelles sur majeurs, abus d’autorité, abus à caractère sectaire, détournements de fonds et manipulations financières, s’agissant tant de faits commis avant qu’après l’installation du tribunal.
Saisine et fonctionnement
Techniquement, chaque évêque conserve son pouvoir judiciaire, seulement il délègue une partie de son pouvoir à un « vicaire judiciaire » qui rendra la justice en son nom. Il reviendra à chaque évêque de saisir le TPCI pour des faits concernant son diocèse.
Cette désignation a lieu par l’entremise du modérateur du TPCI qui est le président de la Conférence des évêques de France.
Selon le droit canonique, c’est l’évêque qui est juge, mais un vicaire judiciaire peut rendre la justice en son nom. Tous les évêques de France nomment en même temps un vicaire commun, un official national, par le biais du modérateur du tribunal (président CEF).
Le TPCI sera en effet présidé par un modérateur assisté par trois évêques membres du Conseil pour les questions canoniques de la CEF.
Il leur revient de choisir le personnel (juges, promoteurs de justice, avocats ecclésiastiques).
Concrètement, un juge, l’official, sera assisté de deux confrères. Un promoteur de justice aura pour mission de veiller à ce que la procédure pénale soit respectée et que le droit canonique soit correctement appliqué. Il s’agit de l’équivalent d’un procureur.
La durée de ces deux fonctions est de six ans, renouvelable une fois. Les laïcs, tant hommes que femmes disposant d’une licence ou d’un doctorat en droit canonique, pourront remplir ces fonctions, moyennant une indemnité
Des laïcs licenciés ou docteurs en droit canonique pourront intervenir.
Toute personne pourra écrire au tribunal. Ses membres pourront lancer des enquêtes préliminaires avec l’aide des officialités locales. Des mesures conservatoires pourront être prises à l’encontre du prêtre mis en cause.
Le libelle (résultat de l’enquête préliminaire) sera admis ou non par le TPCI et non plus par l’évêque local.
Il est prévu que la justice canonique n’intervienne qu’après la condamnation prononcée par les tribunaux étatiques.
Le celebret
Qu’est-ce que le celebret ?
Un celebret (« qu’il célèbre », en latin) est l’équivalent d’une carte d’identité d’un prêtre indiquant sa capacité à pratiquer les sacrements, notamment la confession. Il a pour raison originelle le renforcement de la discipline ecclésiastique et la lutte contre les moines allant de monastère en monastère (girovagues).
Ce document est remis au prêtre après son ordination. Il est signé par l’évêque et frappé du sceau de l’évêché.
Chaque prêtre doit le porter sur lui. Ce document permet de vérifier que le prêtre étranger à la paroisse qui vient célébrer la messe, par exemple, n’est pas un usurpateur.
Si un prêtre est frappé d’un jugement lui interdisant de confesser, ou s’il n’est plus en capacité de confesser, le celebret doit en faire état.
Actuellement, ce document est peu demandé.
Quel changement ?
Lors de l’Assemblée plénière de novembre 2021, les évêques de France ont décidé d’instaurer un nouveau modèle national de celebret mis à jour régulièrement, avec indication de la faculté de confesser.
Ce celebret sera obligatoire tant pour les prêtres séculiers (diocésains) que religieux (membres d’une congrégation).
L’assemblée plénière de novembre 2022 a réitéré ce vœu (discours de clôture).