Les évêques de France ont publié lundi 8 novembre 2021 les résolutions qu’ils ont votées lors de leur réunion en assemblée plénière. Ces résolutions font explicitement écho aux recommandations de la CIASE : les numéros de recommandations sont cités, les termes employés sont les mêmes.
Nous saluons l’ampleur des mesures adoptées à l’occasion de cette assemblée plénière : en effet, une large part des recommandations trouvent une traduction dans les résolutions votées.
La CEF a également mis en place un tableau de bord pour suivre l’application des recommandations :
Nous vous proposons dans les rubriques ci-dessous, de découvrir une analyse détaillée de ces résolutions, au prisme des 45 recommandations du rapport de la CIASE, thème par thème
À ce jour, nous vous proposons une analyse sur les 4 thèmes ci-dessous, nous travaillons sur les prochains, patience !
Cellules d’écoute
Recommandations 15 à 22
Résolutions
Les évêques de France décident un audit externe des cellules d’écoute des personnes victimes, aboutissant à une charte commune et un mode d’évaluation régulier à confier au Conseil de prévention et de lutte contre la pédophilie. Cette charte et cette évaluation sont proposées aux instituts religieux et communautés (R 15 à 22).
Notre analyse
La résolution ainsi votée va dans le sens des recommandations 21 et 22 visant à auditer les cellules d’écoute en vue de préciser leurs missions et professionnaliser leurs modes de fonctionnement. Un point de vigilance subsiste quant à la bonne prise en compte de ces points dans les instituts religieux et communautés puisque ces éléments ne leur seront que « proposés ».
Les recommandations 15 à 20, bien que citées, ne sont pas explicitement reprises, avec quelques idées pourtant importantes pour la qualité de la prise en charge :
- renforcement de la visibilité et de l’accessibilité de ces cellules ;
- qualité des écoutants : professionnalisation, profils laïcs ;
- dispositif de supervision (représentants de l’Église, représentants des personnes victimes, professionnels de santé) et dispositif de remontée auprès des responsables diocésains ;
- affirmation de la distinction entre écoute d’une part, et soin ou accompagnement juridique d’autre part ;
- priorisation de l’écoute aux victimes, prise en charge des auteurs dans d’autres dispositifs ;
- renforcement du lien avec le CPPLP : partage de formation et de bonnes pratiques, restitutions thématiques, animation et mise en réseau.
Responsabilité de l’Église
Recommandations 23 à 27 – non mis à jour depuis le vote des résolutions (sur base discours du 5 nov)
Annonces et faits
Les évêques de France, réunis à Lourdes début novembre 2021 ont reconnu la « la responsabilité institutionnelle de l’Église dans les violences qu’ont subies les personnes victimes d’abus sexuel » ainsi que la « dimension systémique de ces violences ».
Cette notion systémique est soutenue par la reconnaissance du fait que ces actes « ont été rendus possibles par un contexte général, des fonctionnements, des mentalités, des pratiques au sein de l’Église.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort indique ensuite que “Cette responsabilité entraîne un devoir de justice et de réparation ».
Cela fait suite à une première allusion de Mgr Moulins-Beaufort dans son discours à l’occasion de la réception du rapport de la CIASE, dans laquelle on pouvait déjà entrevoir les prémices d’une telle reconnaissance.
L’ampleur du phénomène des violences et agressions sexuelles mise au jour aujourd’hui par la Commission que les évêques de France et les supérieurs religieux ont voulue révèle que toutes les relations structurantes de l’humanité peuvent être déviées et se transformer en relations de prédation et qu’elles le sont, il faut le constater, dans une proportion qui ne peut pas être tenue pour négligeable.
Lien avec les recommandations
Ces déclarations font largement écho aux recommandations n°23 et 24 du rapport de la CIASE. Pour être en parfaite adéquation avec ces recommandations, il s’agit désormais pour l’Eglise d’examiner les facteurs qui ont contribué à cette défaillance institutionnelle.
Par ailleurs, la cérémonie pénitentielle organisée de concert avec des victimes présentes à Lourdes ainsi que l’annonce de la construction d’un lieu mémoriel (déclaration du 5 octobre 2021 à l’occasion de la réception du rapport de la CIASE) s’inscrivent dans la dynamique de reconnaissance préconisée par la recommandation n°26.
Justice civile
Recommandations 28, 29, 30, 42
Résolutions
Les évêques de France s’engagent à demander, chacun pour son diocèse, la signature d’un protocole avec le ou les parquets concernés.
Notre analyse
La résolution votée reprend la recommandation 29 de généralisation des protocoles entre diocèses et parquets. Elle ne précise pas le contenu de ces protocoles, mais le fait de citer la recommandation 42 indique probablement le souhait de s’inspirer des protocoles mis en place à Paris ou à Grenoble, comme préconisé par la CIASE.
Les évêques n’ont à ce jour pas pris d’engagement concernant les actes passés :
- mise en place d’un processus d’éclaircissement des accusations portées en matière de violences sexuelles, lorsque l’auteur est décédé ou l’action publique éteinte (prescription) – R30
- Introduire un dispositif d’enquête de police systématique suivie d’un entretien des victimes de violences sexuelles avec un magistrat lorsque la prescription pénale est acquise. – R28.
NB : il n’est pas évident que cette recommandation soit à la main de l’Eglise.
Indemnisation
Recommandations 31, 32, 33
Résolutions :
1.1 Pour les personnes victimes de violences et d’agressions sexuelles, les évêques de France décident que l’INIA créée en mars 2021 devient l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR). Sa présidence est confiée à Mme Marie Derain de Vaucresson, juriste, cadre du ministère de la justice ancienne défenseure des enfants adjointe du défenseur des droits de 2011 à 2014, dont la mission commence dès à présent avec les moyens financiers nécessaires
1.3.1 En vue d’indemniser les personnes victimes, les évêques de France s’engagent à abonder selon la nécessité le fonds SELAM en se dessaisissant de biens immobiliers et mobiliers de la CEF et des diocèses.
1.3.2 Un emprunt pourra être souscrit pour anticiper les besoins.
Notre analyse
La résolution 1.1 est alignée avec la recommandation 32 du rapport de la CIASE consistant à “confier à un organe indépendant, extérieur à l’Église, la triple mission d’accueillir les personnes victimes, d’offrir une médiation entre elles, les agresseurs […] et les institutions dont ils relevaient au moment de l’agression, et d’arbitrer les différends qui ne peuvent être résolus de manière amiable”.
Si le profil retenu semble tout à fait qualifié pour la mission, son mode de désignation pourrait être interrogé à l’avenir afin de garantir une véritable indépendance à cet organe.
Charge à cet organe de faire appliquer le principe d’individualisation de l’indemnisation (R32) qui n’a pas été explicitement indiqué dans les résolutions votées, même si la recommandation est citée.
La résolution 1.3.1 est en parfaite adéquation avec la recommandation 33 concernant le mode de financement du fonds d’indemnisation. Nous interprétons le recours au crédit mentionné dans la résolution 1.3.2 comme un relais dans l’attente de débloquer les fonds issus de la cession des biens mentionnés au 1.3.1.