Qu’est ce que la CIASE ?
Qui a créé la CIASE ?
Le 7 novembre 2018, lors de leur assemblée plénière à Lourdes, les évêques de France ont décidé, en complément des dispositifs déjà mis en œuvre, la création d’une commission indépendante destinée plus globalement à faire la lumière sur le passé, pour en tirer les conséquences et rétablir la confiance. La Conférence des religieux et religieuses de France, lors de son Assemblée Générale à Lourdes le 12 novembre 2018, s’est pleinement associée à cette démarche.
La CIASE a été financée par la CEF et la COREF et les membres de la commission sont bénévoles
Quelles sont les missions de la CIASE ?
La mission de la CIASE s’articule autour de trois grandes phases :
- l’établissement des faits, par un appel à témoignages, des auditions et entretiens de victimes menés par les membres de la CIASE et une collecte de données organisée par trois équipes de recherche ;
- la compréhension de ce qui s’est passé ;
- la prévention de la répétition de tels drames et l’évaluation des mesures mises en place depuis les années 2000.
En revanche, la CIASE n’a pas pour mission d’établir des responsabilités personnelles : ce n’est pas un tribunal d’exception et la commission ne se substitue pas à la justice civile ou canonique.
Sources : https://www.ciase.fr/mission-de-la-commission/
Rapport : §0026 à §0056
Qui sont les membres de la CIASE ?
Leur vision est-elle assez complète et variée ?
La commission est composée de professionnels aux compétences variées dans les domaines du droit (droit canonique comme droit français, dans les domaines du pénal et de la protection de l’enfance), de la psychiatrie et de la psychanalyse, de la médecine et de la santé, de l’éducation et du travail social, de l’histoire et de la sociologie et enfin de la théologie. Les personnes qui en font partie ont acquis une réelle légitimité dans leur domaine respectif de compétences. Les conditions sont par conséquent réunies pour que se déroule un travail interdisciplinaire en profondeur.
Elle est composée de personnes dont les opinions philosophiques et religieuses sont diverses : elle compte des croyants de différentes confessions ainsi que des incroyants, agnostiques ou athées.
La commission est composée de 12 hommes et de 10 femmes appartenant à des générations différentes. Sa moyenne d’âge est de 57 ans.
Qui est Jean-Marc Sauvé, le président de la CIASE ?
Jean-Marc Sauvé est né dans une famille d’agriculteurs de la Somme, au sein d’une fratrie de quatre enfants. Après un pensionnat à Cambrai, il part à Paris étudier à Sciences-Po. Admis à l’ENA à la 11e place, il y renonce pour entrer au noviciat des Jésuites à Lyon. Après deux ans, il quitte le noviciat et repasse le concours de l’ENA avec succès. Il en sort major (promotion Malraux 1975-77). Cette double réussite est inédite dans l’histoire de l’école. Il rejoint le Conseil d’État le 1er juin 1982 comme auditeur, au centre de documentation pour la jurisprudence fiscale puis maître des requêtes en 1983. Sa carrière politique se poursuit également auprès de différents ministères : conseiller technique au cabinet du Garde des Sceaux (de 1981 à 1983, où il prépare notamment le projet et le débat sur l’abolition de la peine de mort auprès de Robert Badinter), directeur de l’administration générale et de l’équipement au ministère de la Justice (1983-1988), puis directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur (1988-1994). Il est ensuite nommé préfet de l’Aisne (1994-1995), puis secrétaire général du gouvernement de 1995-2006. Il a ainsi préparé et assisté à 550 conseils des ministres.
Le 3 octobre 2006, il prend officiellement ses fonctions de vice-président du Conseil d’État et les exerce jusqu’au 28 mai 2018. Il a présidé à la demande du Président de la République une commission pour la transparence financière de la vie politique (2006-2013) et sur la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique (rapport publié en 2011). En 2020, un livre d’hommage lui est dédiée sous le titre « Qu’est-ce que le bien commun ? », auquel 38 personnalités françaises et étrangères participent, du fait que « cette recherche du bien commun (…) supposée guider l’action de tout serviteur de la République a irrigué en profondeur [sa] carrière ». Jean-Marc Sauvé préside la fondation Cité internationale universitaire de Paris depuis 2017 et la fondation Apprentis d’Auteuil depuis 2018. Au cours de sa carrière, « à l’inverse de nombreux politiques ou hauts fonctionnaires, il a refusé les offres des grands cabinets d’avocats, qui lorgnaient son expérience de juriste et son épais carnet d’adresses. » (1)
Est-il franc-maçon ? Jean-Marc Sauvé a été invité dans le cadre de la vice-présidence du Conseil d’État à un grand dîner de la Grande Loge de France (GLDF) le 21 septembre 2013. Il s’agit d’une invitation protocolaire et il s’y est exprimé à propos de l’articulation entre laïcité d’État et pluralisme religieux. A titre d’exemple, l’écrivain et académicien Jean-Christophe Ruffin y était également invité.
Pourquoi n’y a t-il pas de prêtres, évêques ou religieux dans la commission ?
La CIASE est totalement indépendante et ne reçoit aucune directive de ses commanditaires (CEF et CORREF). Plusieurs spécialistes de l’Église et théologiens ont participé aux travaux, mais pas de prêtres, religieux ou religieuses qui auraient été parties prenantes.
Par ailleurs, les membres de la Commission ont mis les témoignages des victimes au cœur de leurs travaux. Pour ces dernières, il peut être difficile de raconter les violences subies, ainsi que la souffrance et les traumatismes qui en ont découlé. La présence de prêtres, religieux ou religieuses dans la commission aurait pu rendre cet exercice encore plus douloureux voire impossible.
Les travaux de la CIASE sont-ils au service de l’Église ?
C’est l’Église de France elle-même, qui a commandé et financé les travaux de la CIASE pour faire toute la lumière sur les phénomènes d’abus et de pédocriminalité, et les moyens de les éviter à l’avenir.
Les membres de la CIASE avaient des profils divers, et ont été sélectionnés pour leur expertise sur un domaine utile à la compréhension des abus dans l’Église. Leur travail a été aussi objectif et exhaustif que possible, dans un cadre d’indépendance vis-à-vis des commanditaires. Il est à noter qu’ils n’ont reçu aucun salaire pour leur travail, accompli de manière bénévole, les fonds investis par la CEF et la CORREF couvrant des frais de secrétariat, les loyers des locaux, les frais de déplacement etc.
Si le constat du rapport est sévère, il n’est pas pour autant « à charge » et il invite l’ensemble des croyants à faire de l’Église une maison sûre.
Plusieurs membres de la commission, et en particulier son président, Jean-Marc Sauvé, sont catholiques. A l’issue de trois ans d’écoute des victimes et de travaux difficiles, ils ont pourtant exprimé leur espérance que l’Église puisse réformer ce qui doit l’être.
En témoignent les mots de conclusion de la présentation du rapport de la CIASE par son président Jean-Marc Sauvé, le 5 octobre 2021 : « Ce rapport, c’est un message d’attente, un message d’espoir, et aussi, en ce qui me concerne personnellement, un message d’espérance. Notre espérance ne peut pas et ne sera pas détruite, et l’Église peut et doit faire tout ce qui est nécessaire pour rétablir ce qui a été abîmé, et reconstruire ce qui a été brisé. »
Qui a financé la CIASE ?
Le budget de la CIASE, environ 2,5 millions d’euros a été alloué par les mandataires (un tiers pour la Corref et le reste pour la CEF). Il a été consacré principalement aux partenariats de recherche (maison des sciences de l’homme, EPHE, INSERM, école des psychologues praticiens), ainsi qu’au fonctionnement de la commission (locaux, secrétariat, outils numériques, collaborateurs)
Le président s’est entouré d’un comité de 22 experts tous bénévoles : médecins, psychologues, psychiatres, professionnels de la protection de l’enfance, chercheurs en histoire, en sciences sociales, en théologie, magistrats…
Le travail bénévole des membres de la CIASE est estimé à 26 000 heures, soit l’équivalent de 1,2 millions d’euros.
Le coût complet des travaux de la CIASE, en additionnant le coût financier pour ses mandants et la valorisation du bénévolat de tous ceux qui ont œuvré pour la commission peut donc être évalué à 3,8 millions d’euros.
Les statistiques du rapport sont-elles fiables ?
D’où viennent les estimations du nombre de victimes et d’agresseurs ?
Les deux chiffres les plus commentés du rapport sont le nombre de victimes d’une part, et le nombre d’agresseurs d’autre part, de 1950 à nos jours. L’estimation du nombre de victimes de clercs et de religieux ou religieuses est de 216 000, entre une borne basse de 165 000 et une borne haute de 270 000 (cette fourchette représentant l’incertitude). Le nombre d’agresseurs est évalué à 3 200.
Ces deux chiffres n’ont toutefois pas la même valeur : le premier a été obtenu à partir d’une enquête en population générale de l’INSERM, le deuxième par un travail d’analyse des témoignages recueillis par la CIASE et des archives diocésaines et judiciaires. Les utiliser pour calculer un nombre de victimes par agresseur n’a donc pas beaucoup de sens. Contrairement à ce qu’on peut parfois croire, l’enquête par sondage déclaratif fournit en l’occurrence un aperçu beaucoup plus général de la réalité que le travail de recueil des témoignages et d’analyses des archives, qui se concentre sur un champ restreint de cas identifiés.
On peut s’attarder dans un premier temps sur le deuxième chiffre, le nombre d’agresseurs, qui repose en partie sur les réponses de victimes à l’appel à témoignages. L’appel lancé le 3 juin 2019 et clos le 31 octobre 2020 par la CIASE a noué 6471 contacts (3652 entretiens téléphoniques, 2459 courriers, 360 courriers, cf. page 537 du rapport). Il faut imaginer que bien des personnes n’ont pas été au courant de cet appel. Déjà les pratiquants du dimanche n’en avaient pour certains que vaguement entendu parler ou avait croisé une affiche au fond d’une église. On peut imaginer qu’a fortiori cet appel n’a que peu touché les pratiquants occasionnels et encore plus ceux qui ont quitté l’Église depuis des années. Il faut aussi prendre en compte tous les morts qui n’ont pas pu parler, puisque les faits peuvent remonter à 1950. De plus, le Covid avec ses confinements répétés a couru sur les huits derniers mois de l’appel, ce qui a dû également nuire à sa communication. De façon générale, les agressions sexuelles sont sous-déclarées (sentiment de honte ou de culpabilité, déni, incapacité à témoigner etc). Bref, il paraît évident que les témoignages recueillis ne sont hélas qu’une infime minorité sur la totalité. Si on ajoute à cela les recherches dans les archives judiciaires, diocésaines et médiatiques, on obtient un chiffre qui ne peut être que plancher (2900 à 3200 agresseurs) et qui en lui-même est accablant. De 1946 à 2019, on compte 85 150 prêtres et 30 959 religieux, soit 116 109 personnes (annexe 19 du rapport) : environ 2,5 % des prêtres sont concernés par ces agressions.
L’exploitation des archives et des témoignages volontaires ne rend donc compte que des agresseurs qui ont été identifiés soit par les autorités, soit par les personnes ayant accepté de témoigner : il n’existe pas de méthode fiable pour en déduire un nombre total d’agresseurs incluant ceux qui ne figurent dans aucune archive et dont aucune victime n’a témoigné devant la CIASE. La sélection des agresseurs présents dans les données n’est pas maîtrisée. À l’inverse, dans le sondage en population générale sur les victimes, la confection de l’échantillon est maîtrisée : il est donc possible d’en déduire une estimation plus fiable du nombre total de victimes, et de calculer une marge d’erreur.
Pour conclure, le nombre de 216 000 victimes nous fournit une estimation centrale (qui a de fortes chances d’être comprise entre 165 000 et 270 000), alors que le nombre de 3 200 agresseurs est un minimum.
Ces chiffres sont-ils fiables ? Quelle différence avec un sondage d’opinion ?
Les sondages ont mauvaise presse car on connaît surtout les sondages d’opinion, qui sont utilisés à tort et à travers et surinterprétés. Leur principal défaut est que les personnes interrogées ont tendance à répondre sans répondre directement à la question posée : par exemple, plutôt que de dire pour qui ils voteraient si l’élection avait lieu demain, ils indiquent en fait qui ils aimeraient voir en tête d’un sondage. Car l’élection n’a en réalité pas lieu demain et que ce n’est pas si facile de « faire comme si ». Et les résultats des sondages d’opinion peuvent influencer l’opinion.
L’autre défaut des sondages d’opinion est d’être souvent le fruit d’une méthodologie d’autant plus douteuse que leur résultat ne sera pas audité ou mis en question.
Pourtant, les sondages peuvent s’avérer une méthode très efficace d’estimation d’une réalité concrète. La plupart des grandes réalités économiques et sociales ne peuvent pas s’appréhender avec une comptabilité exhaustive ou avec un recensement complet : il est alors nécessaire de recourir à des méthodes statistiques, dont les sondages. Dans de nombreux cas, en effet, le résultat d’un sondage peut donner une vision bien plus complète de la réalité appréhendée que l’analyse de données institutionnelles, qui sont davantage le reflet de l’activité de l’institution que de la réalité sous-jacente : si demain la police décide d’arrêter de prendre les plaintes pour vol, les données administratives sur les vols vont chuter brutalement, mais cela ne dira rien du nombre de vols réellement commis.
Pour estimer le nombre de victimes de violences sexuelles, le sondage donc est la meilleure solution : il n’est pas matériellement possible de demander à chaque français s’il a subi de telles violences. Il est donc nécessaire d’interroger un échantillon de personnes. Cette méthode a en outre le mérite de ne pas dépendre d’un contexte institutionnel : seul le souvenir des victimes est questionné, et par conséquent une organisation qui a ignoré le problème sera traitée de la même façon qu’une organisation qui a fait un gros travail sur elle-même.
L’estimation du nombre de victimes est le fruit d’une étude de l’Inserm et de l’EHESS qui n’est pas spécifique à l’Église, ce qui permet justement de comparer sans biais les contextes institutionnels. L’échantillon final de questionnaires exploités est de 28 010 personnes, ce qui est exceptionnellement gros dans le monde des sondages. À partir des données recueillies au sein de cet échantillon, les méthodes statistiques permettent non seulement de calculer un estimateur mais d’y associer une marge d’erreur : c’est ce qui permet de dire (par analogie avec un sondage purement aléatoire) qu’il y a 95 % de chances que le nombre de victimes de clercs, religieux ou religieuses soit compris entre 165 000 et 270 000, ou encore qu’il y a 97,5 % de chance qu’il soit supérieur à 165 000.
Quelles sont les activités couvertes par les « laïcs en mission » ?
Ces chiffres recouvrent l’ensemble des personnes en lien avec l’Église (personnel des établissements d’enseignement ou internats catholiques, laïcs assurant le catéchisme ou des services en aumônerie, animateurs de mouvements scouts ou d’autres mouvements catholiques de jeunesse).
On estime à 114 000 le nombre d’abus commis dans ce cadre.
Qu’est ce qu’un intervalle de confiance ?
Un intervalle de confiance est une méthode scientifique éprouvée permettant de savoir à quel point on peut se fier à un nombre donné en donnant un intervalle où on est presque sûr que la vraie valeur se trouve. Cela permet de mesurer « l’incertitude de mesure ».
Lorsqu’on fait des statistiques, on essaye ainsi de faire coïncider un phénomène physique, social ou autre avec une loi de probabilité mathématique. Un théorème permet d’affirmer que sur des échantillons assez grands, toute loi de probabilité se comporte comme une qu’on connaît bien : la loi Normale. Les statistiques font la même hypothèse et dès qu’on est dans des conditions bien définies (nombre de personnes sondées, dispersion des valeurs mesurées, valeur moyenne), on peut en déduire un intervalle [a, b] où on est sûr (souvent à 95 %) que la valeur statistique appartient à cet intervalle. On améliore souvent un sondage statistique quelconque par la méthode des « quotas » : on fait certains quotas de personnes interrogées (selon l’âge, le genre, la catégorie socio-professionnelle) pour s’assurer d’interroger la population sondée dans les mêmes proportions que la population générale.
Exemple : si on a deux candidats à une élection et que l’un a un score estimé à 35 % des voix avec un IC [30, 42], et l’autre à 65 % avec un IC [51, 68] en sondage « sortie des urnes », on est quasiment sûr que le deuxième va être élu. Si on a un candidat 1 à 51 % avec un IC [48, 55] et un deuxième à 47 % avec un IC [45, 55], il nous est impossible de conclure à un candidat, les deux étant en position d’être élus.
Au contraire, le travail sur des données administratives ou institutionnelles ne permet ni de faire la part de l’efficacité de l’activité administrative ou institutionnelle, ni d’appréhender le degré d’imprécision de la mesure.
Le recours à un panel en ligne est-il fiable ?
Pour son enquête en population générale, l’INSERM utilise un échantillon par tirage semi-aléatoire de panélistes. Dans une base de personnes inscrites auprès d’un institut de sondage pour répondre à des enquêtes, un algorithme sélectionne celles auxquelles le questionnaire est adressé : le choix vise à constituer un échantillon aligné sur la répartition des caractéristiques socio-démographiques de la population générale (méthode des quotas) et à s’assurer que la répartition entre panélistes des différentes enquêtes est homogène, afin de garantir que les répondants ne sont pas sur-sollicités par d’autres enquêtes, ce qui nuirait à la qualité de la réponse.
La représentativité de l’échantillon est assurée à la fois par sa constitution selon la méthode des quotas et par un redressement selon l’âge, le sexe, la région d’habitation, la taille d’agglomération et la profession des enquêtés. L’INSERM précise que « les estimateurs fournis peuvent ainsi être considérés comme approximativement représentatifs des pratiques de la population résidant en France métropolitaine » : la base est donc la population actuelle, et c’est en ce sens que les résultats doivent être interprétés. Il s’agit d’informations sur les personnes qui, dans la population actuelle, déclarent avoir déjà subi un abus sexuel au cours de leur vie.
Comme toute méthode, celle retenue par l’INSERM a ses conséquences, ses limites. Celles-ci sont connues et maîtrisées : la technique retenue n’est pas nouvelle. Le recours à des panélistes récompensés par des cadeaux n’est pas neutre, pas plus que ne le serait à l’inverse le choix de recueillir des réponses de personnes désintéressées qui acceptent de répondre par bonté d’âme : l’important est de s’assurer qu’au final il n’existe pas de distorsion majeure entre l’échantillon et la population. Dans le cas de l’enquête de l’INSERM, au regard des garde-fous mis en place pour assurer la représentativité de l’échantillon, il n’y a aucune raison de penser que le recours à des panélistes en ligne entraîne un biais de sélection non contrôlé.
Un point du questionnaire a pu attirer l’attention : au moment où elle commence à répondre, la personne interrogée est informée qu’elle participe à une « une grande enquête nationale anonyme et confidentielle sur les abus sexuels commis contre des personnes mineures ou majeures vivant en France ». Il s’agit d’un principe déontologique de base de la réalisation d’enquêtes par sondage : le sujet ne doit pas être caché. Il est vrai que cela peut influencer la décision de poursuivre ou non le questionnaire. Mais il est faux, en revanche, de supposer que ce biais vient gonfler significativement le nombre de personnes déclarant des abus : on peut légitimement penser que certaines victimes, au contraire, quittent le questionnaire pour éviter de se remettre en mémoire de tels événement. En tout état de cause, l’essentiel de la sélection des panélistes se fait en amont de la connaissance du thème : sur 243 601 panélistes sollicités, 197 407 n’ont pas activé le lien qui leur avait été envoyés. En revanche, le nombre de personnes n’ayant pas continué l’enquête après avoir pris connaissance du sujet n’est que de 180, et 69 autres personnes ont abandonné en cours de route. Il paraît donc très exagéré de chercher un biais de sélection important dans la mention – du reste obligatoire – du sujet en début de questionnaire.
Le nombre de personnes déclarant avoir subi des abus est-il suffisant, dans l’échantillon, pour être significatif ?
8 personnes ayant en commun d’être membres de l’Académie Catholique de France ont rédigé une critique des travaux de la CIASE qui, d’abord tenue confidentielle, a fini par fuiter. Leur remise en cause des chiffres s’appuie principalement sur deux arguments : d’une part, l’échantillon de l’enquête en population générale ne comporterait pas un nombre suffisant de victimes pour que celui-ci puisse être extrapolé à la population d’ensemble, et d’autre part les nombre de victimes et d’auteurs ne serait pas cohérent. Le deuxième point est traité ici dans la rubrique « D’où viennent les estimations du nombre de victimes et d’agresseurs ? », qui montre que les deux ne peuvent être directement rapprochés puisqu’il s’agit dans un cas d’une estimation moyenne est dans l’autre d’un minimum sciemment incomplet. Le choix de recourir à un panel en ligne est également mis en cause par les 8 auteurs : il est abordé dans la rubrique « Le recours à un panel en ligne est-il fiable ? » ci-dessus.
En revanche, la première critique concernant l’insuffisance du nombre de victimes est difficile à suivre tant elle est formulée en des termes imprécis. On comprend que les 8 auteurs considèrent qu’il est nécessaire de disposer d’au moins 15 unités statistiques dans une catégorie pour pouvoir en extrapoler les résultats. Une telle règle mériterait toutefois d’être argumentée de façon un peu plus précise : en tout état de cause, les seuils minimaux de représentativité que la théorie statistique peut aider à définir ne sont jamais absolus.
De plus, force est de constater que la plupart des analyses du rapport d’enquête de l’INSERM sont présentées à l’échelle de l’échantillon, sans être extrapolés. Seules les catégories qui rassemblent un effectif plus fourni dans l’échantillon font l’objet d’une estimation élargie à la population d’ensemble.
En particulier, les chiffres permettant d’obtenir une estimation du nombre de personnes abusées par des clercs (216 000), ou plus généralement par des personnes en lien avec l’Église (330 000), sont obtenus à partir d’effectifs bien supérieur à 15 dans l’échantillon (respectivement 118 et 171) : même en appliquant la règle approximative énoncée par les 8 auteurs concernés, l’extrapolation est alors largement significative.
La fiabilité des extrapolations doit être appréciée au niveau fin et au cas par cas : en l’espèce, rien ne permet de penser que les principaux chiffres repris par les médias seraient fondés sur des effectifs insuffisants, ni que la marge d’erreur est supérieure aux résultats obtenus.